La rage de vivre Vietnam 1953. Un jeune homme d’origine vietnamienne, Guan Bao, vient d’apposer sa signature. Ne sachant pas écrire son nom, il fait une croix. Le voilà engagé dans l’armée indochinoise plus précisément dans La milice. S’ensuivent de long mois à encaisser sans broncher les remarques racistes, les corvées humiliantes comme simple soldat tout en apprenant la langue française.
Il expérimente la bassesse de l’être humain, et la laideur de la guerre. Les combats reprennent de plus belle à la frontière. Le général leur dit : « vous êtes entrés dans la légion pour mourir alors je vous envoie là où on meurt ! ». Guan Bao est affecté en Cochinchine mais il n'en meurt pas. Les privations l’endurcissent, le musclent, le rendent plus fort, plus endurant qu’aucun autre soldat. Un an après, son courage lui vaut la médaille Coloniale. Algérie 1956. Le commando d’Extrême-Orient dont fait partie Guan Bao est muté à Alger. Suivant les ordres, il commet des choses atroces au nom de l’armée, pour la gloire de la France. Bizerte 1961. En tant que parachutiste, Guan Bao fait partie de la deuxième vague qui doit décoller de Blida en Algérie. Sa vie et la vie de ses hommes dépendent des chefs d’Etat Habib Bourguiba et Charles de Gaulle. Finalement, Bizerte est récupérée mais à quel prix ! Guan Bao, maintenant caporal, a perdu des hommes, des amis. Il comprend alors que le sang sèche vite et qu’il y aura toujours des batailles à livrer pour le compte d’hommes capricieux se prenant pour des héros. Il est décoré plusieurs fois pour son agressivité et sa combativité face à l’ennemi. Las de l’armée, Guan Bao décide de vivre à Tahiti. En travaillant dans les champs, il acquiert le métier d’agriculteur et veut travailler pour lui-même. Pour ce faire, il doit trouver un terrain. -Voilà, c’est ici, dit l’agent immobilier. Guan Bao jette un regard autour de lui. Ils sont arrivés à un endroit vaseux, marécageux où poussent en pagaille des arbres, des arbustes, des hautes herbes. Il ne dit rien et l’autre enchaîne : - Le terrain commence à partir de là, et ça va jusqu’au bout… là-bas, dit l’homme d’un geste vague de la main. L’agent immobilier ne veut pas marcher dans la boue et se frayer un chemin dans la végétation, mais il suit Guan Bao, qui veut voir les limites du terrain. Guan Bao lève la tête. Il remarque la forme du terrain, son orientation selon les points cardinaux, voit les montagnes et tout cela lui plaît. Son instinct sûr lui a permis d’éviter le danger ou de rester en vie pendant les guerres. Il achète le terrain. Chaque jour, à la sueur de son front, à la force du poignet, il fera de cette terre inhospitalière une propriété immense dotée d’un champ exploitable et prospère. Quand son héritier vient au monde, il est comblé de bonheur : un garçon pour perpétuer son nom. A ses enfants, il ne raconte pas pourquoi il a deux doigts amputés à sa main gauche, ni ne dévoile l’origine de ses cicatrices laissées par des balles qui lui ont perforé le corps en de multiples endroits. Il avait et a toujours la rage de vivre.… Lire la suite
Et si...
Le dragon
Mes amis, mon frère, ma sœur et moi, nous nous sommes dirigés vers l’endroit d’où émanaient les cris. Nous vîmes une femme, échevelée sautillant d’un caniveau à un autre dans le champ de mon père, en lançant des regards apeurés par-dessus son épaule. L’autre femme c’était ma mère la poursuivant hardiment en la menaçant d’un coupe-coupe et hurlant aussi à son tour : « je n’hésiterais pas à m’en servir ! » Mon petit frère riait à côté de moi, et je lui donnais un coup de coude dans les côtes pour le faire taire. A vrai dire, nous n’avions jamais vu notre mère courir à part quand elle essayait de nous donner une fessée. En général, elle nous menaçait de représailles encore plus terribles si nous tentions de fuir les coups. C’était une femme de parole. Si nous évitions ses coups, elle nous frappait en conséquence. Pour nous rappeler à l’ordre, elle nous pinçait dans les parties charnues, nous tirait les oreilles lorsque nous n’écoutions pas, pire, nous cinglait avec un balai « niau » (balai local fait de tiges de palmier) lorsque nous désobéissions. Mes jambes en gardaient encore des traces : des éraflures sanguinolentes. Plus tard, elle m’avait apporté une pommade pour me soigner en me disant : je t’avais prévenue. C’était sa façon de s’excuser. Quel genre de dégât pouvait causer un coupe-coupe, me demandais-je quand même assez inquiète ? Pour l’heure, elle courait en évitant du mieux qu’elle pouvait les légumes soigneusement plantés par mon père. Heureusement pour la malheureuse, ma mère n’était pas douée pour la course et elle arriva à rester assez loin du coupe-coupe. Les adultes aussi observaient la scène ne sachant que faire, que dire, visiblement gênés de découvrir cet aspect de la personnalité de ma mère : une furie en colère, le visage rouge, les yeux exorbités, postillonnant des menaces. C’était un état que mon frère et moi connaissions bien et que nous assimilions à un dragon (c’est son signe astrologique chinois) crachant le feu et soufflant un air brûlant par ses narines. Peut-être se rendit-elle compte du spectacle inconvenant de sa conduite, à moins qu’elle eût peur d’atterrir dans un caniveau et de se retrouver couverte de boue, ma mère renonça à la poursuivre davantage, elle retrouva son calme et revint vers la maison. Bien entendu, mes amis durent quitter la maison en catastrophe. Il n’était pas convenable de rester dans la maison où les invités risquaient de se faire trancher la gorge même si l’invitée en question était la maîtresse de l’hôte. Après cette scène, je ne revis plus jamais mes amis. Quant à ma mère, je suppose qu’elle gagnât le respect de tous. En tout cas, mon père savait à quoi s’en tenir dorénavant. Avait-il pensé, comme moi, que ma mère aurait pu s’en prendre à lui plutôt qu’à l’autre ?… Lire la suite
Le front de mer
Je savais que je n’avais qu’à longer la route, sur un trottoir que je connaissais bien, celui du Manhattan, puis du Paradise Night, de la brasserie des « 3 Brasseurs ». Ensuite, je devais traverser un passage piéton, qui m’amènerait de l’autre côté de la rue, après avoir dépassé un rond-point, et là, continuer de marcher le long de la place Vaiete pour arriver à destination. Je me rappelais avec nostalgie du temps où je sortais beaucoup avec mes amies : le Papeete by Night nous était familier. De la musique entraînante se déversait dans la rue aux abords du Manhattan et du Paradise, les enseignes étaient joyeusement illuminées. D’abord, je passais devant le Manhattan, où il se dégageait une atmosphère tranquille, des joueurs de billards heureux et détendus baignant dans une lumière tamisée. Puis devant le Paradise où des personnes aux beaux atours se tenaient à l’entrée. Des femmes juchées sur leurs talons hauts, en robes courtes, le visage maquillé et le brushing impeccable, accompagnées d’hommes élégants, les cheveux gominés. Les polynésiennes arboraient une fleur de tiare à l’oreille si ce n’est le collier ou une couronne de tipanie. Devant le Métropolis, la musique était assourdissante, la basse y était si forte qu’elle vous faisait manquer un battement de cœur, et là une faune complètement différente : jeunes filles aux décolletés plongeants, en savates et en minishorts, des jeunes hommes en baskets et jean tombant, cheveux hérissés de gel, rigolant, parlant fort. Pour l’heure, je ne reconnaissais rien de l’endroit, le Manhattan était fermé et les plantes vertes disposées devant l’entrée étaient curieusement tristes. Le rideau métallique du Paradise était hideux et la peinture des murs était écaillée, le trottoir du Métropolis était sale et jonché de détritus. Le haut lieu de réjouissance de Papeete n’était qu’illusion. Le trajet me semblait trop long et je commençais à avoir mal aux pieds. J’arrivais pourtant devant les 3 Brasseurs : bien ouvert mais je ne retrouvais pas l’ambiance auquel j’y étais habituée : il n’y avait pas d’orchestre et la terrasse était quasiment vide, le serveur s’ennuyait. Les nuits de week-end, ce n’était pas facile de trouver une table libre, le serveur riait, jonglait avec cocktails, plaisantait avec les clients ! Une personne esseulée buvait une boisson dégoulinante de condensation, un touriste certainement à voir ses bras blancs constellés de piqûres de moustiques, le visage brûlé par le soleil. Il était tentant de s’asseoir pour commander un jus d’ananas bien frais. D’habitude passer par là c’était respirer le parfum capiteux des tipanie dont les arbres bordaient la route, mais là, l’odeur qui émanaient des pots d’échappement occultait tout le reste. La musique était remplacée par les coups de klaxons, les moteurs vibrant et piaffant, les scooters passant en trombe. Traverser la route pendant l’heure de pointe était une expérience traumatisante. Je manquais de me faire écraser au passage piéton du rond-point. Les voitures semblaient nerveuses et impatientes. De nuit, les voitures plus rares étaient enclines à s’arrêter pour les piétons. J’arrivais pourtant saine et sauve à la place Vaiete : il n y’avait aucune roulotte évidemment. Les roulottes, sont ces mini-vans transformés en restaurants ambulants. Plusieurs stationnent sur cette place aménagée comportant point d’eau et sanitaire. Ils ouvrent dès la tombée de la nuit, sortent leur barbecue, installent leurs tables et chaises en plastiques près du camion. On trouve des roulottes crêperie, pizzeria, cuisine chinoise, grillades jusque tard dans la nuit pour les fêtards. Manger aux roulottes c’étaient une autre habitude des soirées à Papeete. Là, j’aimais l’éclairage des lampadaires, l’odeur des viandes qui grésillaient sur les barbecues. Des enfants, sur trottinette ou rollers, slalomaient sur la place et même au milieu des tables. La place était déserte et le soleil était de plomb. Elle me semblait immense ainsi vidée de roulottes, de gens, sous la lumière écrasante du jour. Difficile d’imaginer qu’elle était pleine de vie et de bruit la nuit : ce n’était plus qu’une étendue silencieuse et stérile. Je la traversais rapidement pour arriver à l’office du tourisme. Enfin, je pourrais me rafraîchir dans des bureaux. Cruelle déception, l’office du tourisme fermait ses portes entre 12h et 14h ! Je songeais avec appréhension au chemin du retour. Je décidais de traverser tout de suite car l’avenue de Prince Hinoi serait plus sécurisante et moins glauque que les boîtes de nuits fermées. Oiseau de nuit dans cette partie de la ville, je voyais de près pour la première fois les vitrines de la banque et notamment celle d’une boutique de presse bien achalandée. J’entrais pour me rafraîchir un instant en feuilletant des magazines tout en sachant que la voiture devenait un vrai four pendant ce temps..… Lire la suite
d’ailleurs, pas étonnant que les parents de la victime aient porté plainte contre le rédacteur, bien que je rêve d’être journaliste, je me dis que je n’aimerais pas agir de la sorte au mépris de la souffrance humaine pour l’info et la photo qui aujourd’hui montre une voiture de gendarmerie au premier plan et de l’arbre que je reconnais, comme la RDO est la seule voie rapide qui mène à Papeete, ceux qui sont allés travailler ont donc tous vu le corps se balancer et je murmure « j’espère que les enfants n’ont rien vu » car beaucoup de parents déposent leurs enfants à l’école sur le chemin du travail ce à quoi mon mari buvant son thé à côté de moi, répond qu’il voulait que tout le monde le voit, car quelle idée d’avoir décidé de se pendre à un endroit pareil - je devais me sentir une certaine solidarité ou compassion avec cette personne car qui n’a jamais songé à faire ce geste un jour, si bien que je pris sa défense – et que je réponds « n’importe quoi, il n’a pas voulu que tout le monde le voit » mais monsieur continue d’ affirmer que si car il aurait pu choisir un autre arbre puisque ce n’est pas ce qui manque à Tahiti, si bien que je rétorque qu’il n’est pas facile de trouver un arbre dans Papeete qui est bien bétonné, et qu’il est impensable de se suicider dans le jardin du voisin, et puis il ne faut pas n’importe quel arbre car comment se pendre à un bananier, à un Tipanie, à un manguier or il faut des branches assez solides et assez basses pour pouvoir y grimper d’abord, puis pour attacher sa corde et sauter, et en effet, le flamboyant est parfait car ses branches épaisses poussent à l’horizontale, donc rien à voir avec cet homme qui est monté sur la grue et qui a hésité longtemps pour sauter, créant ainsi des bouchons énormes - car lui voulait qu’on l’aide donc il n’a pas sauté tout de suite, seulement le lendemain – ce qui montre bien que ce jeune homme n’a pas cherché de l’aide parce qu’il l’a fait de nuit en cachette, sans parler à quiconque, cependant mon mari argumente encore car il y a d’autre flamboyant ailleurs et moi, je me doute bien qu’il était à pied,- l’article ne faisant pas mention de vélo, scooter ce qu’ont habituellement les jeunes comme moyen de locomotion - et qu’il ne devait pas habiter bien loin, or où trouver un flamboyant plus proche si ce n’est sur la RDO, tandis que contrarié, il ronchonne un « tu n’en sais rien de toute façon », je reconnais qu’il a raison et que ce ne sont que des supputations… quoique je sois certaine d’avoir raison, alors tout en lisant la page suivante dont l’article relate les activités de SOS Suicide qui est une association à la recherche de bénévoles, je dis, « je vais les appeler » si bien qu’ il me regarde bizarrement en me demandant pourquoi, et tout en mangeant ma tartine mais aussi pour détendre l’atmosphère parce que j’ai été assez virulente, je dis que lorsque ces jeunes m’appelleront, je leur répondrais « oui, vas-y fais-le, tu as raison, la vie est nulle, je te comprends, sautes », ce qui le fait rire et me prévenir que les conversations sont sûrement enregistrées mais je reprends mon sérieux car je veux aider et je serais même formée pour ça, alors ça m’intéresse, c’est alors qu’il me regarde avec un mélange de tendresse et de surprise pendant que je note le numéro de téléphone dans mon agenda. était pleine de vie et de bruit la nuit : ce n’était plus qu’une étendue silencieuse et stérile. Je la traversais rapidement pour arriver à l’office du tourisme. Enfin, je pourrais me rafraîchir dans des bureaux. Cruelle déception, l’office du tourisme fermait ses portes entre 12h et 14h ! Je songeais avec appréhension au chemin du retour. Je décidais de traverser tout de suite car l’avenue de Prince Hinoi serait plus sécurisante et moins glauque que les boîtes de nuits fermées. Oiseau de nuit dans cette partie de la ville, je voyais de près pour la première fois les vitrines de la banque et notamment celle d’une boutique de presse bien achalandée. J’entrais pour me rafraîchir un instant en feuilletant des magazines tout en sachant que la voiture devenait un vrai four pendant ce temps..… Lire la suite